A l’heure où le « transport » est le deuxième poste de dépense des ménages, et où la durée moyenne du trajet domicile-travail est de 50 minutes, la mobilité est plus que jamais au cœur des préoccupations des Français.
En France, 80 % des déplacements se font en véhicule individuel. Dans un contexte de baisse des dotations de l’Etat, de suppression des services publics de proximité, d’urbanisation, la dépendance à l’automobile est d’autant plus vraie dans les territoires ruraux où les trajets sont une nécessité, et où aucune solution alternative n’existe.
La décarbonisation, la nécessité d’accroître le pouvoir d’achat des Français et donc de baisser le coût de cette dépense transport, la fin annoncée du pétrole, font de l’innovation, le cœur des mobilités de demain.
Alors que 40 % des émissions de CO2 proviennent du secteur des transports en France, il faut repenser la mobilité au quotidien en fonction des besoins de la population et des spécificités des territoires.
Sous la Présidence de M. le Sénateur R. Karoutchi, la délégation sénatoriale à la prospective s’est emparée du sujet. A l’issue d’une trentaine d’auditions, avec mes collègues corapporteurs, Mme F. Cartron, MM. O. Jacquin, D. Rambaud et Mme M. Vullien, nous avons procédé au constat que la révolution des mobilités est lancée sous l’effet de plusieurs facteurs :
• L’essor du numérique avec le développement à la fois d’applications pour guider et faciliter les déplacements, et du numérique embarqué, annonciateur du véhicule autonome. Cette robotisation devrait améliorer la sécurité routière en excluant les accidents liés au comportement des conducteurs et en permettant une meilleure gestion du trafic. Cependant, pour être opérationnelle, cette innovation impliquera de lourds investissements afin d’adapter le réseau, avec la réalisation d’une cartographie réaliste, et la mise en place d’un nouveau cadre législatif. La sécurité routière ne pourra être améliorée que pour autant que l’ensemble du parc automobile soit autonome, et que les risques liés à la cybersécurité soient maîtrisés. Si une quarantaine d’expérimentations sont en cours, il faudra 21 ans pour renouveler entièrement le parc automobile.
Pour ces raisons, les véhicules autonomes ne sont pas une réponse immédiate à la mobilité au quotidien, mais correctement accompagnée, cela modifiera sur le long terme dans 20, 30, 40 ans la physionomie des territoires. Il vaut mieux accompagner les territoires aujourd’hui pour les préparer à demain.
• Le progrès technique qui permet le remplacement progressif des motorisations thermiques par une propulsion électrique. Si les véhicules électriques représentent moins de 0,2 % de l’ensemble des voitures en circulation en France, leur vente bat des records, et a progressé de 44 % en Europe en 2017. Depuis quelques années, les innovations se succèdent en termes de prix et d’autonomie. En 5 ans, nous sommes passés de 1.000 euros du kWh, à 150 euros. Leur autonomie est de 300 km pour certaines d’entre elles, et devrait bientôt atteindre 400 voire 600 km. Le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) permettra de multiplier les bornes de recharge. Trois difficultés subsistent toutefois : le recyclage des batteries, le prix d’acquisition et l’utilisation de métaux rares et de l’énergie fossile.
Cette innovation s’inscrit dans l’objectif du gouvernement de neutralité carbone pour 2050. En France, 40 % des émissions de CO2 proviennent du secteur des transports. Dans le cadre du plan climat, M. N. Hulot a annoncé la fin de la commercialisation des moteurs thermiques (diesel et essence) sur l’ensemble du territoire. Après avoir multiplié les mesures incitatives en faveur du diesel, les politiques publiques veulent désormais le bannir. Il faudra être vigilant : la nécessité de réduire l’empreinte carbone ne doit pas conduire à des positions dogmatiques. Il faut être réaliste et rester ouvert à l’innovation. A l’avenir, sera-t-on capable de commercialiser un moteur diesel plus performant que l’essence ou l’électrique ? Sera-t-on capable de repousser cette échéance si les véhicules alternatifs n’arrivent pas à se démocratiser ?
A côté de cela, l’Etat doit être capable d’accompagner la transformation des entreprises vers d’autres marchés, vers d’autres produits. Dans mon département, la Vienne, deux fonderies qui emploient plus de 900 personnes sont aujourd’hui en grande difficulté financière en raison de ce désamour du diesel. A plusieurs reprises, à leur initiative, les élus locaux ont rencontré le Délégué Interministériel aux Restructurations d’Entreprises. Alors que ces difficultés sont désormais connues depuis plus de 6 mois, aucune solution n’a encore été trouvée, et les financements de l’Etat – en l’absence de politique industrielle nationale - semblent taris. Il est donc nécessaire que l’Etat assume son rôle d’accompagnant sans quoi la transition énergétique ne sera qu’un mythe et les objectifs ambitieux fixés par l’Etat ne pourront être atteints.
• La transformation des attentes sociétales et des habitudes de consommation, avec l’apparition notamment de l’économie du partage. Les mobilités urbaines sont marquées par le renouveau de la marche, le développement du vélo et des nouveaux modes de glisse. La LOM vise comme objectif de « tripler la part dans les déplacements d’ici 2024, en levant les obstacles qui s’opposent à cet usage ». Nous verrons si la réalité des territoires, les contraintes familiales et professionnelles, permettront de réaliser cet objectif.
Quant aux mobilités longue distance, qui seules intéressent les territoires ruraux, la logique de partage semble y prendre sa place avec le covoiturage. La frontière entre transport individuel et transports collectifs s’estompe.
A l’occasion de la LOM, l’Etat souhaite réguler ces nouvelles mobilités. Avec l’aide du Parlement, un juste milieu doit être trouvé. Les contraintes administratives et règlementaires existent déjà, il est essentiel de ne pas décourager l’innovation. Est-ce au pouvoir règlementaire de préciser les modalités de rétribution du covoiturage ? Je m’interroge.
Le manque de mobilité, en particulier dans les territoires ruraux, est source d’inégalité et d’injustice. Dans notre rapport nous nous sommes intéressés à la question des équilibres territoriaux. Faute de solution alternative, la ruralité subira de plein fouet la disparition des moteurs thermiques. 80 % du territoire représente 30 % de la population. Les territoires de prédilection des projets innovants sont logiquement urbains et périurbains (75 %). Pour ne pas exclure les territoires ruraux des nouvelles mobilités, les pouvoirs publics devront assurer un accès à un Internet optimum et accompagner financièrement l’innovation ; j’y veillerai particulièrement. Il faudra également tirer le bilan des mesures législatives et règlementaires favorisant le télétravail. Pour 81 % des Français, vivre à la campagne représente la vie idéale ! (2)
Les mobilités nouvelles doivent être faciles, accessibles, rapides, peu coûteuses. Cela passe par le développement de technologies innovantes, par l’amélioration des infrastructures, par la mise en place d’incitatifs financiers pertinents. Il faudra améliorer le maillage territorial, redonner de la proximité, et être conscient que lorsqu’on habite dans une région XXL comme la Nouvelle-Aquitaine, l’échelon Régional n’est pas toujours le plus pertinent. Les intercommunalités et les départements auront leur rôle à jouer… encore faudra-t-il leur en donner les moyens ! ■
*Co-auteur d’un rapport d’information publié en novembre 2018 et intitulé : « Mettre les mobilités au service de tous les territoires »
1. La mobilité refondée avec le numérique, Les cahiers de l’IESF n°21, novembre 2015
2. Enquête IFOP pour le mouvement des familles rurales dévoilée en octobre 2018